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Mais qui a tué les Martiens ?
8 MARTIENS : une nouvelle d'Hakim & Simonne.
Assis sur le trottoir, la tête entre ses mains, le regard vide, il
tentait
de recoller les morceaux de cet infernal puzzle. Tout s'était enchaîné
très
vite, trop vite.
Il ne se contentait pas de repenser aux évènements des dernières
quarante
huit heures, son esprit remontait le temps, essayant de déceler dans
les
méandres de sa mémoire, le détail oublié qui
avait pu déclencher cette
tragédie.
J'avais une liaison avec une femme qui m'invita, pour une quinzaine, à
séjourner chez elle, à la fin de l'été. La ville
de Marseille m'avait
toujours attiré, alors je saisis l'occasion et lui rendis visite.
Je quittai
Paris où la grisaille et l'automne revenaient à grands pas
et je ne fus pas
mécontent de venir au soleil.
Simonne était radieuse. Elle avait la physionomie de ces femmes du
nord de
l'Afrique, un corps svelte, très élancé qui gardait
pourtant des formes
généreuses dans des proportions très harmonieuses.
Les traits de son visage
étaient fins. Son nez droit qui remontait au bout pour laisser place
à des
lèvres au contour régulier, ses yeux foncés en amande
et son teint halé par
le soleil tendaient à la rendre très orientale.
Sa passion était la musique. Choriste dans un groupe, elle l'exerçait
de
façon très modeste mais cela convenait à son désir
de dominer quelque peu
son ego. En plus de son chant, Simonne s'occupait aussi de la gestion de
ce
groupe qu'elle avait rejoint trois ans auparavant. Elle m'expliquait que
le
concept avait été créé par Jef quatre ans avant
son arrivée. Il avait opté
pour le nom de "Martiens" et je dois avouer qu'il aurait pu lui
donner son
propre nom, tellement l'esprit collait à son caractère.
Je l'avais rencontré lors des répétitions et j'eus
l'occasion d'échanger
quelques mots avec lui. Je me rappelle sa stature assez frêle et son
tempérament explosif. Sa constante bonne humeur et son dynamisme
le
rendaient sympathique aux yeux de tous. Il remplissait sa fonction aussi
technique qu'artistique de façon très humble et dégageait
une profonde
simplicité. Pourtant, Le peu de temps qu'il me fut donné de
discuter avec
lui me suffit à constater qu'il était doté d'une grande
finesse d'esprit et
d'une perspicacité très développée.
Si le groupe avait pris une dimension artistique plus importante à
l'arrivée
de Bernard, le guitariste et le membre le plus actif dans la création
musicale, il peinait toujours à décoller. Lorsque je fis leur
connaissance,
ils s'apprêtaient enfin à concrétiser leur désir
de sortir un album. Bernard
avait rempli son rôle et se désolait de voir les choses traîner,
ce qui le
mettait dans des états très comiques. Il était trapu,
de petite taille, les
yeux pochés par des nuits trop courtes passées à faire
la fête. Faisant
rouler sous ses doigts ses cheveux mi-longs ou caressant son bouc naissant,
il répétait sans cesse : "Non, là ! ça
va plus les gars !". Il avait donné
tout ce qu'il pouvait pour cette entreprise et de voir les autres tarder
à
remplir des fonctions très simples mais indispensables, le rendait
furieux.
Ce soir-là, comme de nombreuses fois, j'accompagnai Simonne à
une répétition
des Martiens. Ils louaient un local dans un bâtiment rempli de musiciens
de
niveaux très variés. Nous trouvâmes Bernard qui était
déjà au local dans
l'après-midi pour composer, en grande discussion avec le batteur.
Fred
m'avait vraiment impressionné. Il était dans le groupe, d'un
point de vue
créatif, ce qu'était Bernard au niveau de la création
musicale. Son esprit
vif était en fonctionnement constant, il imaginait, créait,
décorait,
pensait sans jamais se fatiguer.

Ils attendaient Fouffe depuis trois heures pour répéter des
morceaux et
comme d'habitude, le bassiste était en retard. Fred était
à bout de nerf,
rejetant ses cheveux en arrière, il se leva d'un bond et jura qu'il
lui
mettrait six traits pour ce retard.La ponctualité était un
grand problème chez les Martiens.
Pour le résorber, Fred avait décidé de bâtonner
les retards et de faire payer une tournée au
premier qui décrocherait les dix bâtons. Au quatrième
trait, la porte
s'ouvrit et Fouffe apparut, haletant. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Ce
grand gaillard, habituellement toujours enclin à rire, ruisselait
de sueur
et bégayait en s'exprimant. Cédric, quitta son synthétiseur
et vint à sa
rencontre, certain qu'il était en train de leur jouer l'une de ses
innombrables blagues. Cédric était le plus jeune du groupe.
Il l'avait
intégré en même temps que Fred le batteur, Fouffe et
Philou le
percussionniste. Outre une connaissance très précise et technique
de la
musique, c'était un garçon doté d'une culture générale
très vaste. Tous les
quatre se côtoyaient de longue date, ils avaient joué ensemble
dans d'autres
groupes avant les Martiens. Alors, lorsque Cédric s'approcha de Fouffe,
il
comprit de suite que ce dernier ne blaguait pas. Le regard inquiet, il
l'interrogea sur ce qui le mettait dans cet état. Fouffe, toujours
tremblant
dit : " Philou est Mort !", "Il a été assassiné".
Tous restèrent sans voix.
Simonne, la plus calme de tous, le pria néanmoins de raconter les
détails.
Je vous épargnerais le récit intégral de Fouffe qu'il
débita non sans mal et
je me contenterais de vous résumer les faits. Dans l'après-midi,
Philou
avait téléphoné à Fouffe, lui demandant de passer
le voir afin de l'aider à
porter ses instruments. Vers quinze heures, Fouffe se rendit à son
domicile
et monta les escaliers sans interphoner, ce qui était une habitude.
A
l'étage, trouvant la porte ouverte, il frappa et s'introduisit. Il
ne mit
pas longtemps à apercevoir le corps de Philou gisant dans une marre
de sang.
D'abord choqué, il se ressaisit très vite et appela la Police.
La suite
s'est déroulée nous dit-il comme dans un mauvais rêve,
l'ambulance, des
dizaines de policiers en uniformes et en civil. Il fut emmené au
commissariat où il fut interrogé pendant des heures. On le
relâcha enfin,
l'informant tout de même que le meurtrier était certainement
un proche du
défunt. Il n'y avait eu aucune trace d'effraction et sur la table
basse du
salon, deux verres étaient posés ainsi qu'une feuille de papier
où était
écrit : "Martiens Go Home".
Je ne connaissais pas Philou depuis longtemps mais il m'avait paru être
un
homme très appréciable. Il aimait faire la fête et passer
une soirée avec
lui était un délice. Les membres du groupe étaient
pétrifiés. Ils
comprenaient que le meurtrier n'en voulait pas à Philou personnellement
mais
aux Martiens. Sous le choc, personne ne trouvant rien à dire, le
silence
s'était abattu et la sonnerie du téléphone de Simonne
fit tressaillir tout
le monde. Elle répondit. Tous l'examinaient et tous virent son visage
blémir. Au téléphone, Corinne, la femme du chanteur,
pleurait. Elle se
trouvait au commissariat pour répondre à des questions sur
le meurtre de
Marc. Plus tard, j'appris que Marc avait quitté son travail en milieu
d'après-midi et s'était rendu chez lui pour se reposer avant
d'aller en
répétition. Corinne était rentrée en début
de soirée et avait trouvé la
porte ouverte. Elle vit Marc, avant de s'évanouir, la tête
sur la table. Il
avait un couteau planté dans la nuque, et sur son dos, une feuille
de papier
portant les inscriptions "Martiens Go Home" était accrochée.
J'aimais beaucoup Marc. Chanteur des Martiens depuis la création
du groupe,
il avait acquis des qualités indiscutables dans son domaine. Ce que
j'appréciais chez lui, c'était sa ressemblance avec les personnages
des
auteurs classiques français, il me rappelait ces orphelins et autres
déchus,
dont V. Hugo aimait dépeindre la bonté sans faille. Contrairement
à ces
personnages, il pouvait être très acide verbalement et frisait
même parfois
l'impolitesse dans ces actes mais tout ce qu'il faisait était dénué
de
calcul. Cette nouvelle déclencha la cafardage dans le local. Ce qui
était le
chagrin causé par la mort d'un être cher pouvait se manifester
par le
silence mais la disparition de Marc amena l'inquiétude et la panique.
La Police ne pouvait rien faire. Elle avait suspecté Fouffe pendant
quelques
temps pour sa découverte du corps de Philou, mais la récente
mort de Marc et
les différentes autopsies le disculpaient totalement. Selon l'expression
policière, au moment du crime, il avait un alibi en béton.
Les policiers ne
pouvaient non plus assurer la sécurité de chacun des membres,
alors ils
demandèrent à tous de faire preuve de la plus extrême
vigilance.
Certains se barricadèrent, n'osant plus sortir. D'autres plus téméraires,
firent l'acquisition d'une arme et tant bien que mal, tachèrent de
mener une
existence normale. Mais tout avait changé. Le groupe n'existait plus,
ils se
suspectaient tous mutuellement. Il faut dire que tous sans exception
auraient pu commettre ces crimes. Ils en avaient les capacités tant
techniques que psychologiques.
A part Bernard, je ne voyais plus personne. Simonne aussi n'osait plus
sortir. Le soir nous allions acheter des cigarettes et elle en profitait
pour prendre l'air. De temps en temps, nous passions chercher Bernard et
nous passions des soirées silencieuses, évitant toute allusion
à ces
événements. Bernard était très marqué,
il avait beaucoup maigri. La
disparition de Marc, son ami le plus cher, l'avait rendu l'ombre de
lui-même, et la folie le guettait de très près.
Lorsqu'on le retrouva pendu, on aurait pu affirmer sans hésiter qu'il
s'était suicidé, mais comme dans les deux cas précédents,
un papier imprimé
"Martiens Go Home" était accroché à sa chaussure.
Simonne perdit la raison et elle se mit à parler toute seule. Son
père prit
toutes les dispositions nécessaires et la fit interner. Je lui rendais
visite de temps en temps, mais voyant qu'elle ne me reconnaissait pas je
cessai de la voir. J'étais effrayé. Je pris conscience après
le meurtre de
Bernard de la volonté diabolique qui animait cet assassin et j'étais
persuadé qu'il ne pouvait s'agir que d'un membre des Martiens.
En effet, après les deux premiers meurtres, Bernard n'aurait jamais
ouvert
la porte à une autre personne, même si celle-ci s'était
avérée être une
proche ou lointaine connaissance. La deuxième cause qui confirmait
mon
raisonnement, était ce message que l'on retrouvait à chaque
fois sur le lieu
du crime : "Martiens Go Home".
Jef avait trouvé ce nom sur Internet. Il s'agissait d'un groupe de
musique
belge. Il en avait imprimé le logo et avait même porté
au local, des
extraits de leurs créations. Tout le monde avait rit de la bizarrerie
de
leur musique mais à part les Martiens, personne n'avait connaissance
de ce
fait. Les policiers en avaient été informés et après
une brève enquête, ces
musiciens belges furent mis hors de cause. On apprit par les policiers que
les Martiens Go Home étaient de véritables stars en Belgique
et qu'ils se
trouvaient en tournée en Australie. Cette nouvelle rendait la situation
inquiétante, car des Martiens, il ne restait plus que Cédric,
Fred, Jef,
Fouffe et Simonne que sa démence disculpait totalement.
J'en étais donc à jouer le détective, non par soif
de vérité mais par
crainte de voir l'assassin étancher sa soif des meurtres en décidant
d'éliminer les proches des Martiens, lorsque survint l'évènement
le plus
atroce de cette histoire.
Ce matin là, je me levai avec une impression étrange. Dans
ce genre de
situation, on ne se rappelle cette sensation qu'une fois la tragédie
survenue. Le cþur serré, je décidai donc de rendre une visite
à Simonne dans
le but de discuter de cette affreuse affaire. J'espérais trouver
son état
amélioré et dresser d'après ses informations le profil
psychologique des
Martiens encore en vie. Arrivé à l'hôpital, la présence
massive de policiers
accentua mon anxiété et chose plus inquiétante, les
abords de
l'établissement étaient inondés par les journalistes.
Je comprenais qu'il
était arrivé quelque chose mais jamais je n'aurais pu en deviner
l'ampleur.
J'essayai par tous les moyens de pénétrer à l'intérieur
de l'hôpital mais
mon insistance provoqua la suspicion de certains policiers. Habilement,
je
trouvai en une jeune et jolie journaliste, la solution idéale pour
m'insérer
dans l'établissement. L'abordant d'un ton très grave, je finis
par lui faire
croire que je détenais dans l'affaire des éléments
tout à fait intéressants.
Les détails que je lui donnais sur les différents meurtres
m'attirèrent sa
confiance et elle me pria de la suivre dans le hall d'accueil, pour me
raconter tous les détails de ce qu'elle appelait lugubrement la mort
clinique. Nous pûmes entrer aisément, grâce à
sa carte de presse et à une
connaissance qu'elle avait dans le milieu de la police. Visiblement, elle
semblait habituée à couvrir des évènements tels
que les meurtres en série.
Nous allâmes nous asseoir, en retrait du remue-ménage.
Jef et Fred étaient venus à l'hôpital, demandés
par le médecin traitant de
Simonne, qui affirmait par ailleurs que cette dernière était
vraiment mal en
point et souhaitait leur parler de toute urgence. Arrivés sur les
lieux, le
médecin n'était pas là mais l'infirmière décida
de les emmener voir Simonne.
Elle raconta que derrière la porte, était dissimulé
un individu portant un
masque de Sankoukaï. Il les tint en respect pointant sur eux un revolver
et
laissa partir l'infirmière. Elle coura appeler la Police et lorsqu'ils
arrivèrent, le carnage avait déjà eu lieu. L'assassin
masqué les avaient
d'abord blessé par de nombreux coups de feu avant de leur trancher
la tête.
Il avait déposé sur le chevet, le message habituel "Martiens
Go Home." et
s'était enfui probablement par la fenêtre, celle-ci étant
resté ouverte.
Les policiers avaient compris que le meurtrier ne pouvait être que
Cédric ou
Fouffe, alors ils envoyèrent une équipe les arrêter,
comptant cette fois-ci
sur l'interrogatoire pour démêler cette affaire.
Lorsque j'arrivai à l'hôpital, la nouvelle était déjà
connue des
journalistes : Fouffe était mort. L'assassin était passé
chez lui avant ce
triple meurtre et pressé d'arriver avant Jef et Fred, s'était
contenté de le
tuer de trois balles dans la tête en déposant près de
son corps le message
morbide "Martiens Go Home." Cédric était introuvable.
Le récit terminé, la journaliste consciencieuse, voulut m'interroger
sur les
liens que j'entretenais avec Simonne mais mon esprit ne l'écoutait
plus. Je
me levai et me mis en quête d'un endroit plus tranquille. Dans la
confusion
générale, personne ne me prêta attention. Je trouvai
une salle d'attente
déserte. J'avais une affreuse migraine et dans ma tête, une
voix lancinante
criait : "Cédric ! Cédric !".
Tout à coup, je ne saurais jamais sous quel effet, ma tête
fut attirée sur
le côté, derrière la porte d'entrée, et je le
vis. Il se tenait là, la tête
entre les mains, comme hébété. Lorsqu'il me vit, son
visage esquissa une
grimace haineuse. C'est à ce moment-là que je su qu'il venait
de réaliser
toute l'horreur de la situation. Je m'approchais de lui, déterminé,
jusqu'à
ce que mon regard pénètre son regard. Ses yeux fixaient les
miens, je n'y lu
aucune peur, mais plutôt de la tristesse. Dans un souffle, il me demanda
:
"pourquoi ?". Je me penchai sur son épaule et lui chuchotai
à l'oreille :
"une erreur de jeunesse, sûrement".
Puis, je m'écartai brusquement sur le côté et lui logeai
une balle dans la
tempe gauche. Il s'effondra à mes pieds, sans bruit.
Je sortis le masque de Sankoukaï de la poche de mon manteau et le jetai
négligemment sur le sol, parmi les morceaux de cervelle épars.
Quant au
Magnum 357 avec silencieux, qui m'avait si bien servi jusque là,
je
l'essuyai consciencieusement et le plaçai dans sa main gauche. Ainsi,
la
thèse du crime parfait pouvait se vérifier, par mes soins.
Le multicriminel,
resté sur les lieux de son forfait, dans un moment de lucidité,
s'était
donné la mort. La police conclurait l'affaire d'ici à quelques
jours et moi,
je pouvais continuer mon petit bonhomme de chemin sans être inquiété
le
moins du monde. Alors que mes pas me dirigeaient vers la sortie, je songeai
à ma prochaine rencontre, pourquoi pas, une violoniste soliste d'
un
quelconque orchestre philharmonique, en hommage à ma dernière
victime,
Cédric. Je n'oubliai pas qu'un serial killer ne doit jamais couper
son fil
d'Ariane, même s'il lui arrive de couper des têtes...
Quand je sortis sans encombre de l'hôpital et traversai la rue, la
dernière
chose que j'entendis fut la voix de la journaliste, qui me héla.
Hélas, je
ne saurai jamais si accueillir cette jeune beauté dans mon lit eut
pu être
un délice. Un camion fou me percuta de plein fouet et envoya mon
pauvre
corps disloqué sur le trottoir d'en face.
Depuis ce jour, je suis en enfer et condamné à rester sur
ce trottoir,
assis, la tête dans mes mains, le regard vide, à essayer de
comprendre sans
jamais y parvenir, et ce, pour l'éternité.
FIN
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